La Beauce par Charles Peguy
Plaine infiniment grande.
Plaine infiniment triste, sérieuse et tragique.
Plaine sans un creux et sans un monticule.
Sans un faux pas, sans un dévers, sans une entorse.
Plaine de solitude immense dans toute son immense fécondité.
Plaine où rien de la terre ne cache et ne masque la terre.
Où pas un accident terrestre ne dérobe, ne défigure la terre essentielle.
Plaine où le Père Soleil voit la terre face à face. Plaine de nulle tricherie.
Sans maquillage aucun, sans apprêt, sans nulle parade.
Plaine où le soleil monte, plaine où le soleil plane, plaine où le soleil descend également pour tout le monde, sans faire à nulle créature particulière l’hommage, à toute la création l’injure de quelque immonde accroche-coeur, d’une affection, d’une attention particulière.
Plaine de la totale et universelle présence de tout le soleil, pour toute la terre.
Puis de sa totale et universelle absence.
Plaine où le soleil naît et meurt également pour toute la création, sans une faveur, sans une bassesse, pour toute la création de la terre dans la même calme inaltérable splendeur.
Plaine du jugement, où le soleil monte comme un arrêt de justice.
Plaine, océan de blé, blés vivants, vagues mouvantes ;
à peine quelques carrés de luzernes pour quelques rares vaches, à peine quelques fourrages pour les chevaux, du sainfoin, parce qu’il faut tout de même bien des chevaux pour les fermes ;
et au milieu de la ligne plusieurs grands triangles et grands carrés de betteraves ;
une tache ;
une tare ;
mais c’est pour la grande sucrerie de Toury.
Plaine, océan de blé, blés mouvants, vagues vivantes, vagues végétales, ondulations infinies ; mer labourable et non plus comme l’était celle des anciens Hellènes, inlabourable et rebelle à la charrue ;
mais également invincible, et également inépuisable ;
terre essentielle du midi, roi des étés ;
ondulations inépuisables des épis ;
océan de vert, océan de jaune et de blond et de doré ;
froissements lents et sûrs, froissements indéfiniment renaissants et doucement bruissants, froissements moirés et vivants des inépuisables vagues céréales ;
Plaine infiniment triste, sérieuse et tragique.
Plaine sans un creux et sans un monticule.
Sans un faux pas, sans un dévers, sans une entorse.
Plaine de solitude immense dans toute son immense fécondité.
Plaine où rien de la terre ne cache et ne masque la terre.
Où pas un accident terrestre ne dérobe, ne défigure la terre essentielle.
Plaine où le Père Soleil voit la terre face à face. Plaine de nulle tricherie.
Sans maquillage aucun, sans apprêt, sans nulle parade.
Plaine où le soleil monte, plaine où le soleil plane, plaine où le soleil descend également pour tout le monde, sans faire à nulle créature particulière l’hommage, à toute la création l’injure de quelque immonde accroche-coeur, d’une affection, d’une attention particulière.
Plaine de la totale et universelle présence de tout le soleil, pour toute la terre.
Puis de sa totale et universelle absence.
Plaine où le soleil naît et meurt également pour toute la création, sans une faveur, sans une bassesse, pour toute la création de la terre dans la même calme inaltérable splendeur.
Plaine du jugement, où le soleil monte comme un arrêt de justice.
Plaine, océan de blé, blés vivants, vagues mouvantes ;
à peine quelques carrés de luzernes pour quelques rares vaches, à peine quelques fourrages pour les chevaux, du sainfoin, parce qu’il faut tout de même bien des chevaux pour les fermes ;
et au milieu de la ligne plusieurs grands triangles et grands carrés de betteraves ;
une tache ;
une tare ;
mais c’est pour la grande sucrerie de Toury.
Plaine, océan de blé, blés mouvants, vagues vivantes, vagues végétales, ondulations infinies ; mer labourable et non plus comme l’était celle des anciens Hellènes, inlabourable et rebelle à la charrue ;
mais également invincible, et également inépuisable ;
terre essentielle du midi, roi des étés ;
ondulations inépuisables des épis ;
océan de vert, océan de jaune et de blond et de doré ;
froissements lents et sûrs, froissements indéfiniment renaissants et doucement bruissants, froissements moirés et vivants des inépuisables vagues céréales ;
puis parfaits alignements des beaux chaumiers ;
des grandes et parfaitement belles meules dorées ; meules maisons de blés, entièrement faites en blé, greniers sans toits, greniers sans murs, toits et murs de paille et de blé protégeant, défendant la paille et le blé ;
gerbes, épis, paille, blé, se protégeant,
se défendant, mieux que cela se constituant,
se bâtissant eux-mêmes, immenses bâtiments de céréales, parfaites maisons de froment, bien pleines, bien pansues, sans obésité toutefois, bien cossues ;
et cette forme sacramentelle, vieille comme le monde, une des plus vieilles des formes, indiquée d’elle-même, inévitable et d’autant plus belle, d’autant plus parfaite, étant plus parfaitement accommodée, la vieille ogive, aux courbes parfaites de toutes parts, à l’angle courbe terminal parfait, terminaison douce et lente et pointe ogivale ;
innocentes courbes et formes, dites-vous ; innocentes, apparemment ;
astucieuses en réalité, astucieuses et très habiles, d’une patiente et invincible habileté paysanne, invinciblement astucieuses contre la pluie oblique et le vent démolisseur.
Bâtiments de blé insubmersibles aux tempêtes de terre, qui debout contre le vent, contre les larges vents d’automne, contre les durs vents d’hiver, contre les mous vents d’Ouest, contre les secs vents d’Est, contre le neige, contre la grêle, contre les interminables pluies, contre ces pluies inépuisables d’automne et des hivers doux, contre ces éternités de pluies figurations d’éternités, où tout l’air pleut, où le vent pleut, où le ciel pleut et vous pénètre l’âme… grands bâtiments de charges qui faites et tenez tête à toutes les tempêtes de terre, bâtiments qui naviguez toujours, et toujours à la cape, bâtiments au gros ventre, au ventre plein, non obèse, bâtiments aux courbes nautiques, dessinées pour fendre les vagues du vent, les vagues de la pluie, les vagues de l’infortune.
Plaine de platitude. Le seul horizon où le soleil règne, et ne s’amuse point à faire des calembredaines pour les peintres.
Pays parfaitement classique, parfaitement probe, où il n’y a pas un effet.
Pas un creux où nicherait, où se cacherait un effet.
Charles PÉGUY
des grandes et parfaitement belles meules dorées ; meules maisons de blés, entièrement faites en blé, greniers sans toits, greniers sans murs, toits et murs de paille et de blé protégeant, défendant la paille et le blé ;
gerbes, épis, paille, blé, se protégeant,
se défendant, mieux que cela se constituant,
se bâtissant eux-mêmes, immenses bâtiments de céréales, parfaites maisons de froment, bien pleines, bien pansues, sans obésité toutefois, bien cossues ;
et cette forme sacramentelle, vieille comme le monde, une des plus vieilles des formes, indiquée d’elle-même, inévitable et d’autant plus belle, d’autant plus parfaite, étant plus parfaitement accommodée, la vieille ogive, aux courbes parfaites de toutes parts, à l’angle courbe terminal parfait, terminaison douce et lente et pointe ogivale ;
innocentes courbes et formes, dites-vous ; innocentes, apparemment ;
astucieuses en réalité, astucieuses et très habiles, d’une patiente et invincible habileté paysanne, invinciblement astucieuses contre la pluie oblique et le vent démolisseur.
Bâtiments de blé insubmersibles aux tempêtes de terre, qui debout contre le vent, contre les larges vents d’automne, contre les durs vents d’hiver, contre les mous vents d’Ouest, contre les secs vents d’Est, contre le neige, contre la grêle, contre les interminables pluies, contre ces pluies inépuisables d’automne et des hivers doux, contre ces éternités de pluies figurations d’éternités, où tout l’air pleut, où le vent pleut, où le ciel pleut et vous pénètre l’âme… grands bâtiments de charges qui faites et tenez tête à toutes les tempêtes de terre, bâtiments qui naviguez toujours, et toujours à la cape, bâtiments au gros ventre, au ventre plein, non obèse, bâtiments aux courbes nautiques, dessinées pour fendre les vagues du vent, les vagues de la pluie, les vagues de l’infortune.
Plaine de platitude. Le seul horizon où le soleil règne, et ne s’amuse point à faire des calembredaines pour les peintres.
Pays parfaitement classique, parfaitement probe, où il n’y a pas un effet.
Pas un creux où nicherait, où se cacherait un effet.
Charles PÉGUY